Source : Les Echos
Interview de Olivier MENUET - Directeur Achats Durables et Solidaires - SNCF
Propos recueillis par Claude VINCENT - Rédacteur en Chef Adjoint - Enjeux Les Echos
La RSE et le développement durable impactent de plus en plus le métier clé d'acheteur. Les entreprises l'ont compris. Mais aller au bout de la démarche relève désormais de la responsabilité managériale et non plus du seul engagement de « militants ».
Olivier Menuet, Directeur achats durables et solidaires de la SNCF et professeur Achats responsables dans les grandes écoles, vient de publier - en tandem avec Agnès Rambaud-Paquin, du cabinet des Enjeux et des Hommes - une volumineuse et très complète étude sur les « achats responsables » , c'est à dire l'intégration des notions de développement durable et de responsabilité sociale dans la fonction achat. « Missi dominici » de la première heure, il partage ici sa vision de l'évolution du métier.
Qu'est-ce qui vous a incité à vous passionner pour ce thème des « achats responsables » ? Et en quoi la fonction achat est-elle concernée par le développement durable et la RSE ?
J'ai eu la chance de démarrer sur le sujet très tôt, en 2003, quand le développement durable et la RSE ont commencé à émerger au sein des entreprises. Les achats, fonction clé de l'entreprise en raison de leur poids économique, sont confrontés eux aussi aux enjeux des risques réglementaires, d'image, de sécurité, de pérennité des sources d'approvisionnement... Aujourd'hui, il faut répondre au Grenelle, à Reach, aux lois sur le handicap, à la diversité... C'est plus complexe, certes, mais cela redonne aussi du sens à ce métier. La démarche va en effet bien au-delà du triptyque classique qualité/coût/délais. Il y a une profonde remise en cause des réflexes et des pratiques. Ainsi, par exemple, le fournisseur doit être considéré vraiment comme un partenaire qu'on sélectionne mais aussi qu'on accompagne sur la base de ces nouveaux critères. Les achats responsables s'exercent depuis la spécification du besoin jusqu'à la fin de vie du produit ou la fin de la prestation. Il ne s'agit donc pas d'envoyer un simple questionnaire aux fournisseurs et de regarder leurs propositions. Il faut au préalable redéfinir ses propres besoins, analyser le comportement de ses acheteurs. C'est une vraie réforme en profondeur de notre métier d'acheteur pour passer à un nouveau niveau : la responsabilité n'est pas une notion triviale, elle demande de l'engagement, du courage et de l'intelligence ; l'intelligence du cerveau (le QI) mais aussi celle du coeur (le QE, quotient émotionnel).
Est-ce vraiment efficace, en termes économiques, pour une entreprise ?
La fonction achat a toujours été un levier stratégique et de compétitivité pour l'entreprise. Y intégrer les notions de durabilité et de partage renforce ces dimensions. Mais jusqu'à présent on ne mesurait qu'avec peine la vraie valeur de cet apport. Cela change et avec le temps, preuve se fait que c'est efficace: l'universitaire américain John Henke a mesuré que de bons comportements d'achat dans les relations avec les fournisseurs généraient de 3 à 5% de performance supplémentaire.
Le métier se structure-t-il ou bien est-ce encore une pratique dispersée, liée au seul engagement de personnes convaincues ?
Les premiers à s'engager dans les achats responsables étaient plutôt des militants ! On commence à en sortir. Mais la question devient : comment le militant se transforme-t-il en manager ? Le métier est encore trop porté par des individus, même s'il commence à se structurer. On sent que ça décolle depuis deux à trois ans. Des managers des achats responsables sont nommés au sein des directions achat. Ils apportent des outils, des méthodes. Ils sont cependant encore trop souvent isolés et dépourvus de moyens. C'est dommage. A la SNCF, nous avons désormais une équipe de 12 personnes (plus 5 jeunes en contrat d'alternance). Elles accompagnent les acheteurs de l'entreprise à la fois en termes de méthodologie mais aussi sur le terrain afin de les amener à intégrer le développement durable et la RSE dans leur quotidien. Nous, nous n'achetons pas, nous sommes des passeurs vers nos acheteurs et leurs fournisseurs. Pendant trois ans nous avons uniquement travaillé en interne à alerter, convaincre et former les premiers pour qu'ils puissent ensuite aller vers les seconds.
Ces enjeux sont-ils bien perçus, désormais, par le top management des entreprises ?
De mieux en mieux. D'après le baromètre thématique HEC-EcoVadis de 2011, 92% des entreprises analysées considèrent dorénavant les achats responsables comme un point critique ou important. Leur motivation est essentiellement liée, dans l'ordre, au management du risque, à la création de valeur et à la réduction des coûts. Le progrès, ces dernières années, est le soutien accordé par le top management (24%). Et désormais 45% des entreprises du panel ont des équipes dédiées et deux sur trois utilisent des méthodologies formelles pour évaluer leurs fournisseurs contre un sur trois seulement en 2007. Mais il y a encore une vraie révolution managériale à mener. Ceux qui font route vers les achats responsables pensent encore trop « risque », adoptent une position défensive où les mots clés restent rupture d'approvisionnement, boycott, atteinte à l'image... C'est soit une solution de facilité, soit un manque de vision et d'ambition. Il y a peu, il était encore possible de dire « je ne sais pas ». Aujourd'hui, ne pas y aller relève quasiment de la mauvaise foi. Il n'y a plus d'arguments recevables pour ne pas intégrer ces nouvelles dimensions du développement durable et de la RSE et passer à l'action.
Les écoles de commerce ou de management intègrent-elles l'achat responsable dans leurs programmes ? Et, dans la pratique, la mise en oeuvre est-elle si évidente ?
Certaines, comme HEC, l'EM Lyon, Euromed Management, l'ESCP mais aussi l'Ecole Centrale commencent à avoir de telles offres dans leurs cursus. Dans les entreprises, la « génération Y » y est sensible et de fait, certains éléments du « middle management » qui en sont issus sont plutôt enclins à prendre le pli et à nommer des personnes en charge de ces questions. Dans les faits, lors de la mise en application, on en revient cependant encore trop aux bonnes vieilles méthodes ! Il est vrai que l'approche proposée est horizontale et ouverte. Il s'agit d'établir de nouvelles relations en interne avec la R&D, le marketing, la qualité, les RH..., et en externe avec les parties prenantes de la fonction Achats (fournisseurs, ONG, société civile, acteurs de l'économie sociale et solidaire, ...). Elle est orthogonale aux méthodes de management pratiquées depuis 20 ou 30 ans où prédomine l'organisation classique en silo, qui voit chacun défendre ses positions et a peur de perdre ses prérogatives et son pouvoir au sein de l'entreprise. Tout cela exige d'autres valeurs. Il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes dans cette filière et ce n'est sûrement pas sans rapport. J'en compte ainsi 12 dans mon équipe.
Au final, vous êtes optimiste ?
Plutôt, oui. Cela a bien progressé en quelques années : les esprits s'ouvrent, les outils et les méthodes progressent et les clients le demandent ! Il devrait y avoir une accélération et cela d'autant plus que la création de valeur et les opportunités de business via les achats responsables vont s'affirmer. Désormais aller au bout de la démarche relève de la responsabilité managériale. Mon leitmotiv est : si vous voulez, vous pouvez ! Et je forme le souhait que mon équipe et moi n'ayons plus de raison d'être d'ici cinq ans ! Ce serait la preuve que nous avons bien fait notre travail !