Le WWF vient de révéler la liste de 25 entreprises françaises qui impactent le plus les écosystèmes mondiaux à travers leur chaîne d’approvisionnement. Parmi celles-ci, des géants de la grande distribution comme Carrefour, de l’agroalimentaire comme Danone, du pétrole comme Total ou de la construction comme Bouygues. Mais l’ONG ne se limite pas à la logique du Name and Shame. Si elles ont une "responsabilité particulière", elles font aussi partie de la solution.

Chaque année, Total achète au moins 50 000 tonnes d’huile de palme pour ses agrocarburants, Système U au moins 20 000 tonnes de soja pour ses aliments en marque propre et Saint-Gobain acquiert pour 14 millions d’euros de bois pour ses différentes marques…   
"Les entreprises françaises sont des championnes mondiales dans des domaines clés qui impactent les écosystèmes. Elles figurent parmi les premiers acheteurs d’huile de palme, de soja, de coton, de bois tropicaux… Elles ont donc une responsabilité particulière. Mais si elles font partie du problème, elles font aussi partie de la solution. Elles doivent agir maintenant !" affirme Pascal Canfin, directeur général du WWF France.

Le poids stratégique des entreprises françaises 



Pour la première fois, le WWF France a décidé de publier la liste des 25 entreprises françaises qui, à travers leur chaîne d’approvisionnement, impactent le plus fortement les écosystèmes de par leur chiffre d’affaires et le volume de leurs achats en matières premières agricoles. "Attention, il ne s’agit pas d’un classement, prévient Pascal Canfin. Impossible en effet d’agréger des données aussi diverses que les impacts des achats de crevettes ou de ceux du soja sur l’environnement".
Cette liste est exclusivement consacrée aux produits agricoles : "nous avons préféré sortir la question du climat, et donc les entreprises du secteur énergétique car leur impact est mondial et non localisé sur des écosystèmes précis", ajoute-il encore. L’impact sur l’eau est également sorti de la méthodologie. Enfin, le fait que ces entreprises aient ou non commencé à travailler sur la durabilité de leur chaîne d’approvisionnement – plusieurs d’entre elles achètent déjà tout ou partie du soja ou de l’huile de palme responsable ou du bois certifié – n’est pas pris en compte.  

Carrefour, Auchan, E.Leclerc, Les Mousquetaires, Système U, Casino…



La liste concentre essentiellement les secteurs de la grande distribution, de l’agroalimentaire et de la construction. On y trouve ainsi tous les grands distributeurs français : Carrefour (1er distributeur européen et deuxième mondial), Auchan, Casino, E.Leclerc, Les Mousquetaires ou Système U.
De même que les entreprises de restauration comme Sodexo (75 millions de repas par jour) et Elior ainsi que  les géants de l’agroalimentaire comme Danone ou Lactalis (1er acheteur mondial de lait). Ceux-ci ont en effet un impact sur un nombre important de matières. D’autres secteurs en revanche ont un impact limité à un seul produit mais un pouvoir de transformation important : c’est le cas de Michelin, deuxième acheteur mondial d’hévéa (caoutchouc naturel) pour ses pneus ; de L’Oréal, première marque de beauté mondiale  pour l’huile de palme et la pâte à papier, ou des constructeurs comme Eiffage, Bouygues, Saint-Gobain ou Vinci pour le bois.   


Crédit : WWF France 



L’exploitation de 16 matières premières agricoles menace 35 écosystèmes mondiaux  



Les travaux de l’association s’inscrivent dans un travail plus large mené par l’ONG au niveau mondial. L’initiative globale de transformation des marchés du WWF porte sur 16 matières premières (soja, huile de palme, ressources halieutiques –saumon, thon, poisson blanc, crevette sauvage et d’élevage, poisson fourrage- bois d’œuvre, pâte à papier, hévéa, produits laitiers, bœuf, canne à sucre, biomatériaux et coton) dont les modes d’exploitation menacent directement 35 écorégions prioritaires (Amazonie, Bassin du Congo, Bornéo et Sumatra, Triangle du Corail, etc.). A noter que sur les 500 entreprises de la liste mondiale du WWF, deux pays ressortent très nettement du lot : les États-Unis et la France.  


Crédit: WWF France  



Améliorer les pratiques de ces entreprises 



Face à cette liste, la réaction des entreprises diffère. "La plupart sont conscientes de leur impact, mais il y a celles qui assument et qui sont dans le dialogue…et il y en a d’autres avec lesquelles, c’est plus compliqué", reconnaît Marie-Christine Korniloff, directrice déléguée au monde économique du WWF France.
"Nous avons été prévenus en amont, souligne de son côté Bruno Linéatte, directeur R&D de Bouygues construction. Notre impact en tant qu’acheteur important de bois – Bouygues construction et Bouygues immobilier essentiellement – est une réalité incontournable que nous ne nous cachons pas. C’est justement pour cela que nous avons noué un partenariat avec le WWF (depuis 2015, sur la ville durable, NDLR) pour remonter le plus en amont possible de notre chaîne d’approvisionnement et en améliorer la maîtrise. » 
Pour aller au-delà du Name and Shame, qui consiste à pointer du doigt les entreprises coupables, le WWF prône en effet le dialogue, en direct ou par le biais de réunions avec les organisations représentantes du secteur, et réalise des partenariats avec certaines des entreprises de la liste. Outre Bouygues, Sodexo, Carrefour – avec qui l’ONG travaille depuis près de 20 ans sur différentes matières premières (pêche, huile de palme, soja, bois…) pour aller vers un approvisionnement plus durable et certifié – ou Michelin – avec qui elle travaille sur une cartographie de sa chaine de valeur et à la définition de critères pour une production d’hévéa responsable encore inexistante – ce sont inscrites dans cette démarche.
Pas question cependant de nouer de telles alliances avec toutes les sociétés nommées : certains secteurs comme le pétrole étant d’office exclus des partenariats avec l’ONG.  

Traders, négociateurs et producteurs face à leurs responsabilités



Si ces entreprises représentent aussi des cibles intéressantes, c’est qu’elles sont visibles auprès des médias et du grand public. Pourtant, pour transformer l’ensemble de la chaîne, l’ONG comme les entreprises soulignent aussi l’importance des acteurs de l’ombre comme les producteurs ou les traders. C’est notamment le cas pour le soja ou l’huile de palme : "un distributeur par exemple, aussi important soit-il, ne peut pas transformer à lui seul le marché. Il est bien sûr nécessaire que ce secteur s’engage mais cela doit impérativement faire levier sur les producteurs/négociants/traders comme Wilmar – le premier acteur de l’huile de palme du monde entre les mains de qui passe près de 80% de cette ressource – ou Cargill, pour qu’il y ait un changement global du jeu", soulignait ainsi Fabien Girard, le directeur de la branche française de TFT (The Forest Trust), une organisation internationale à but non lucratif spécialisée dans la lutte contre la déforestation.
Mais si certains commencent à prendre le virage des matières premières responsables avec des organisations du type RSPO ou RTRS (les tables rondes sur l’huile de palme et le soja responsables), elles en profitent aussi pour en tirer de très confortables sur-marges…
"Ce ne sont pas les acteurs les plus faciles à faire bouger : ils sont puissants mais très peu visibles et donc plus à l’abri des risques réputationnels", reconnaît Arnaud Gauffier, responsable agriculture durable et transformation des marchés du WWF France.

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