Catégorie : Juridique

Minerais des conflits : l’Europe désormais responsable

Depuis le premier janvier 2021, les importateurs de certains métaux critiques très utilisés dans le numérique doivent respecter « des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement provenant de zones de conflit ou à haut risque ». Tous les pays membres de l’Union européenne doivent en effet avoir traduit le règlement 2017/821/UE [1] du 17 mai 2017 en droit national.

Encadrer les conditions de travail sur les lieux d’extraction

L’objectif du règlement qui entre en vigueur est d’encadrer l’extraction de quatre minerais – étain, tantale, tungstène, or – parmi les 10 principaux nécessaires à la fabrication des smartphones, ordinateurs, etc.

Passée complètement inaperçue, l’entrée en vigueur de ce règlement est une avancée majeure. C’est l’aboutissement du travail de plus de 150 ONG et leaders d’opinion depuis 10 ans partout en Europe dont Amnesty International, ActionAid, CCFD-Terre Solidaire, Global Witness, GreenIT.fr via Good Electronics, Oxfam France, Sherpa, Walk Free. Voir la liste exhaustive [2].

Ce texte vise en effet à mettre un terme aux « minerais des conflits », des minerais si précieux qu’ils permettent de financer des conflits armés dans des pays instables. Avec pour conséquences le travail forcé des adultes et des enfants, l’expropriation de peuples autochtones, des viols, etc. Après les « diamants de sang » [3], le coltan en République Démocratique du Congo est devenu le symbole de ces « minerais des conflits ».

L’Europe rattrape 10 ans de retard sur les Etats-Unis

L’Europe va ainsi rattraper son retard sur les USA qui ont voté le même type de texte il y a 10 ans déjà. La loi américaine Dodd-Franck [4], adoptée en 2010, inclut l’obligation pour les sociétés cotées aux États-Unis qui se fournissent en minerais dans la région des Grands Lacs de communiquer sur leurs chaînes d’approvisionnement.

Garantir un contrôle strict par un tiers indépendant

Si on ne peut que se féliciter de cette avancée, ce texte ne sera réellement un progrès que lorsqu’il sera mis en oeuvre et que les due diligence seront effectivement contrôlées par des organismes tiers sur le terrain, tels que Electronics Watch et ses partenaires. Sans cela, ce règlement ne sert à rien.

Trop de grandes organisations privées et publiques, pour ne pas dire toutes, se réfugient simplement derrière quelques conventions de l’Organisation Internationales du Travail (OIT) en espérant que leurs fournisseurs font ce qu’ils disent faire.

Encore beaucoup à faire dans les usines d’assemblage…

Le travail des enfants et les conditions de travail inhumaines ne se limitent malheureusement pas à l’extraction. Il reste encore beaucoup à faire du côté des usines d’assemblage des sous-traitants d’Apple, Samsung, Dell, etc. où les conditions de travail sont dignes de Zola.

Depuis plus de 16 ans, avec d’autres ONG et associations [5], nous dénonçons les conditions de travail dans les usines d’assemblage. Les salariés des usines de Samsung se battent par exemple pour ne plus mourir de leucémie qui seraient dues à deux procédés industriels : lavage des semi-conducteurs au benzène et l’ionisation des composants. Selon, China Labor Watch, en période de pointe comme avant les fêtes de fin d’année, ces mêmes salariés travaillent 3 à 6 fois plus que la limite légale : jusqu’à 220 heures supplémentaires par mois, en plus des heures normales de travail, soit jusqu’à 15 à 16 heures de travail par jour, avec, au mieux, un jour de repos par mois.

En 2014, après la campagne menée aux Etats-Unis par les ONG Green America et China Labor Watch, Apple a enfin accepté de retirer deux produits hautement toxiques – le benzène et l’hexane – des processus de fabrication de ses équipements mobiles (iPhone, iPod, iPad). Mais seulement chez les fournisseurs de rang 1.

Plus récemment, on découvrait qu’il fallait débourser 3 mois de salaire pour avoir le droit de travailler chez Cal-comp, l’un des principaux sous-traitant des grandes marques.

. et dans les zones de recyclage sauvage

Enfin, l’autre grand domaine ignoré est celui du “recyclage”. 70 % des déchets électroniques faisant l’objet d’un trafic à l’échelle mondiale, ils finissent la plupart du temps dans des bidonvilles – tels que Agbogbloshie au Ghana – dédiés à la récupération des métaux précieux qu’ils contiennent. Dans ce bidonville, on trouve dans la nourriture produite sur place des concentrations de polluants organiques persistants (POP) en quantités ahurissantes : jusqu’à 220 fois plus que les limites imposées en Europe.

Source : GreenIT.fr

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017R0821&from=en%20 (PDF, 431 Ko)

[2] https://www.globalwitness.org/en/campaigns/conflict-minerals/conflict-minerals-europe-brief/more-150-civil-rights-groups-call-meps-strengthen-eu-conflict-minerals-regulation/

[3] Accords de Kimberley, 2003. Les accords de Kimberley de 2003 ont imposé un processus de certification des diamants.

[4] Section 1502 of U.S. Dodd Frank Act: the landmark US law requiring responsible minerals sourcing

[5] telles que Electronics Watch, Les Amis de la Terre, Sherpa, Peuples Solidaires, Action Aid International, etc.

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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