C’est une petite révolution. Dans une déclaration publiée sur son site Internet, la Business Roundtable, un groupe de 181 directeurs de grandes sociétés américaines comme Amazon, Apple ou de Boeing, propose une nouvelle définition du "but d’une société" avec une "norme moderne en matière de responsabilité d’entreprise". Selon celle-ci, la valeur actionnariale de l’entreprise ne serait plus l’objectif principal de l’entreprise.
Longtemps considérée comme une "danseuse" ou un supplément d’âme de l’entreprise, la responsabilité sociétale (RSE) est aujourd’hui en passe de devenir l’élément constitutif de la société du XXIème siècle. Du moins dans les discours. Parmi les principes de base de son nouveau rôle : la remise en cause de la suprématie de l’actionnaire dans le partage de la valeur de l’entreprise. C’était l’un des objectifs du volet transformation des entreprises de la loi Pacte en France. C’est devenu l’un des nouveaux mantras des grands patrons, notamment américains. 


Dans une déclaration publiée le 19 août, 181 grands patrons membres de la Business Roundtable, parmi lesquels les dirigeants d’Apple, Boeing, JP Morgan Chase, Johnson & Johnson, American Airlines ou Amazon, appellent à repenser le but même de l’entreprise.
L’actionnaire, une partie prenante comme les autres
Cette association, très influente dans le milieu des affaires, estime désormais que l’objet d’une société est de fournir de la valeur à l’ensemble des parties prenantes et non pas satisfaire les seuls actionnaires. Concrètement, les signataires s’engagent à "fournir de la valeur à leurs clients", à "investir dans les employés", à "traiter équitablement et éthiquement les fournisseurs", à "soutenir les communautés dans lesquelles ils travaillent", "à protéger l’environnement" et à "générer de la valeur à long terme pour les actionnaires".


Il s’agit d’une petite révolution, car depuis 1978, la Business Roundtable publie régulièrement des principes de bonne gouvernance. Mais jusqu’à présent, chacun de ces documents insistait sur la primauté de l’actionnaire. Une vision alignée sur la pensée libérale, incarnée par l’économiste Milton Friedman, pour qui l’entreprise ne vise qu’à accroître ses profits pour ses propriétaires, les actionnaires.


"Cette nouvelle déclaration reflète mieux la manière dont les entreprises peuvent et doivent fonctionner aujourd’hui", assure ainsi Alex Gorsky, le PDG de Johnson & Johnson. Derrière ce changement de vision, de l’aveu même des grands patrons, il faut y voir les changements à l’œuvre dans la société (attentes de plus en plus fortes des citoyens, inégalités grandissantes, changement climatique, etc.) qui rendent nécessaires l’intégration des principes de la RSE dans le business model des entreprises.
Une remise en question du capitalisme
"Les gens se posent des questions fondamentales sur la mesure dans laquelle le capitalisme sert la société", constate ainsi Alex Gorsky. Il est donc "plus crucial que jamais le fait que les entreprises du XXIe siècle se concentrent sur la création de valeur à long terme pour toutes les parties prenantes et la résolution des problèmes auxquels nous sommes confrontés", ajoute Darren Walker, Président de la Fondation Ford. Car de cela, découlera "une prospérité partagée et une durabilité pour les entreprises et la société", assure-t-il.


L’idée fait son chemin depuis plusieurs années. En 2018, Larry Fink, le patron de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs du monde, avait déjà appelé les entreprises à travailler pour le bien commun. Avant de demander, en 2019, aux entreprises de se doter d’une raison d’être, expliquant que le but de l’entreprise n’est pas "la recherche exclusive de bénéfices mais la force qui les anime".
Un grand écart à combler



Si la Business Roundtable répond à l’appel, la démarche est cependant inaboutie selon le World ressources Institute, un think-tank américain influent auprès des entreprises sur les questions environnementales et notamment climatiques. Car cette vision de la responsabilité sociétale est déjà dépassée : la déclaration de la Business Roundtable s’apparente à la "grand-mère de la RSE", estiment ses experts. Pour être davantage à la pointe selon eux, il aurait au moins fallu intégrer l’économie circulaire, un lobbying pro-climat ou la reconnaissance que les ressources desquelles dépendent les entreprises sont limitées. 
Surtout, il reste déjà à traduire la déclaration dans les actes. Parmi les sociétés signataires, beaucoup sont régulièrement pointées du doigt pour des manquements aux engagements de la déclaration qu’ils ont signée tels que la rémunération équitable des employés, le traitement éthique des fournisseurs ou le respect de l’environnement.


La question du revenu décent ("living wage") notamment est montée en force ces derniers mois aux États-Unis. Le patron de la Business Roundtable, l’un de mieux payé des États-Unis avec 31 millions de dollars en 2018, a en lui-même fait les frais. La banque qu’il dirige, JP Morgan Chase, a été critiquée pour le salaire minimum qu’elle fixe à 16,5$/h (18$ dans les grandes villes), tandis que les dividendes de la banque ont été classés parmi les 18 plus importants versés en 2018, selon le rapport Janus Henderson. 
Béatrice Héraud @beatriceheraud 
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